Rendre le web accessible à toutes et tous : les clés d’une UX inclusive
- Anaïs Baumgarten
- il y a 20 heures
- 10 min de lecture
Cet article est le transcript et les ressources de l'épisode 52 du podcast Slow Marketing. 🎧 Voici le lien pour écouter l'épisode ! 📮Abonne-toi à la Newsletter pour ne rien louper des prochains épisodes !
"Tu peux connaître les standards par cœur, mais tu ne pourras jamais te mettre à la place d’une personne concernée. Le test utilisateur, c’est essentiel."
Dans cet épisode de Slow Marketing, j’accueille Arnaud Poffé, UX designer et Accessibility Conscientious chez Smile, spécialiste de l’expérience utilisateur inclusive et de l’accessibilité numérique.
Arnaud accompagne des organisations comme la STIB à rendre leurs services digitaux plus accessibles et plus justes, en intégrant les personnes concernées dès la conception.
💡 Ensemble, on explore comment l’accessibilité peut transformer l’expérience utilisateur tout en renforçant la performance, la lisibilité et l’éthique des contenus numériques.
Si tu veux faire de l’accessibilité une réalité concrète dans ton marketing, ce dialogue va profondément t’inspirer.
Tu découvriras dans cet épisode :
Pourquoi l’accessibilité est un levier UX puissant (et pas juste une contrainte légale)
Quels sont les freins fréquents à l’accessibilité côté design et dev
Comment intégrer les standards d’accessibilité dans ton design system
Pourquoi tester avec des personnes concernées change tout
Quelles ressources et formations Arnaud recommande pour se former efficacement
Ce que l’accessibilité a en commun avec le slow marketing
👉 Cet épisode est une mine d’or si tu travailles dans le design, la communication, le marketing digital ou la conception de services et que tu veux rendre ton travail plus responsable et plus inclusif.
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Les ressources
https://www.stib-mivb.be/juridique/declaration-d-accessibilite
https://smile.eu/fr/publications-et-evenements/la-face-cachee-du-ticket-digital-de-la-stib-mivb
https://getbootstrap.com/ (framework accessible)
https://access42.net/ (formation française)
http://anysurfer.be/ (formation Bruxelles)
https://www.a11yproject.com/ (Projet accessibilité mondial)
https://www.w3.org/TR/WCAG22/ (Normes WCAG)
https://www.w3.org/WAI/ARIA/apg/patterns/ (Standards à utiliser pour faire des développements accessibles)
L’accessibilité au cœur du nouveau site web de la STIB
Le transcript
Merci à mon partenaire Scrybecast qui m'aide à générer des transcripts de qualité !
Qu’est-ce que signifie être Lead Designer et Accessibility Conscientious chez Smile ?
Alors aujourd’hui, forcément UX/UI designer, c’est un terme qui est assez connu. Moi, je suis plutôt UX ergonome, donc je ne travaille pas dans la recherche, mais je récupère la recherche pour la traduire selon les besoins.
Aujourd’hui, en tant que UI designer, on travaille avec des design systems, donc on construit directement avec l’UX.
Et alors, la bonne partie, « Accessibility Consciousness », aujourd’hui, je ne voulais pas avoir le mot expert. Je trouve que c’est un terme trop galvaudé. L’expertise, finalement, il faut être vraiment expert sur tous les points. Moi, j’ai une vraie approche UX/UI, je sais auditer des sites, je sais faire du développement front-end, mais mon cœur de métier reste l’UX/UI. Donc j’ai préféré le mot « consciencieux » plutôt qu’« expert ».
Qu’est-ce qui t’a attiré vers l’accessibilité numérique et pourquoi c’est essentiel aujourd’hui ?
C’est une très bonne question. Je ne vais pas raconter une belle histoire ou un drame. C’est un parcours qui m’a amené jusqu’ici.
Quand je suis sorti de l’école, jeune designer, je croyais que j’étais le roi du monde. Comme beaucoup de designers, je pensais révolutionner le monde. Puis j’ai compris qu’on sortait avec une formation généraliste, sans réelle spécialisation.
Et puis j’ai eu des expériences pro qui m’ont amené vers l’accessibilité. J’avais le choix entre travailler sur des sites très esthétiques, « wahou », ou aller vers quelque chose de plus utile, et j’ai toujours eu une appétence pour l’empathie. C’est ça qui m’a attiré : développer au maximum l’empathie. Et aujourd’hui, l’accessibilité, c’est ça. C’est ouvrir une audience qui était sur le côté auparavant.
Puis il y a eu un projet qui m’a plongé dedans, qui m’a permis de monter en compétences sur le sujet.
L’accessibilité, un levier pour améliorer l’expérience de tous·tes
Est-ce que tu pourrais nous expliquer pourquoi c’est important de rendre un site accessible, même pour des personnes valides ?
Déjà, c’est légalement obligatoire. Et ensuite, on oublie souvent que l’accessibilité bénéficie à tout le monde.
Je prends souvent l’exemple du sous-titrage. Il y a une différence entre légende et sous-titre. Les sous-titres, c’est pour les personnes qui ne comprennent pas la langue. Les légendes, c’est pour ceux qui ne peuvent pas entendre. Mais aujourd’hui, tout le monde met des sous-titres sur ses vidéos, même pour les Reels Instagram ou les vidéos TikTok, pour pouvoir regarder sans le son.
C’est pareil avec le contraste, la taille de la police, ou encore la structure d’un site. Ce sont des choses qui aident les personnes en situation de handicap, mais aussi tous ceux qui ont une mauvaise connexion, qui consultent leur téléphone au soleil, ou qui sont tout simplement fatigués.
Donc oui, l’accessibilité améliore l’UX pour toutes et tous. Ce n’est pas un ajout. C’est le cœur du design inclusif.
Quels sont les freins que tu observes chez les entreprises quand on parle d’accessibilité ?
Le premier frein, c’est la méconnaissance. Beaucoup ne savent pas ce que ça implique concrètement. Ils pensent que ça veut dire "ajouter des rampes d’accès sur un site", ou alors que c’est un truc technique très lourd, uniquement pour les devs.
Ensuite, il y a la peur du coût, alors que c’est souvent moins cher d’intégrer l’accessibilité dès le départ que de devoir refaire après.
Et puis, il y a aussi une forme d’esthétique figée. Certains designers pensent que l’accessibilité va les empêcher de faire des choses jolies, créatives. Mais ce n’est pas vrai. On peut faire des choses accessibles et belles. Il faut juste penser différemment.
Retour d’expérience : accessibilité et UX dans un projet pour la STIB
Tu as travaillé sur un projet d’accessibilité pour la STIB, peux-tu nous raconter ce que vous avez mis en place ?
Oui, c’est un projet qui m’a beaucoup marqué, parce qu’il rassemblait UX, accessibilité et inclusion. La STIB, c’est la société de transport public de Bruxelles. Ils voulaient refondre leur site, en pensant vraiment aux besoins de tous les usagers, y compris ceux en situation de handicap.
La première chose qu’on a faite, c’est un audit accessibilité du site existant. On a regardé ce qui allait, ce qui n’allait pas, avec des outils comme WAVE, et surtout en testant avec des vraies personnes concernées. Parce que c’est ça le plus important : co-créer avec les usagers, pas juste pour eux.
Ensuite, on a mis en place des ateliers avec des personnes malvoyantes, avec des difficultés cognitives, des personnes âgées aussi. Et ça a été une vraie claque. Par exemple, on s’est rendu compte que certains pictogrammes très « design » étaient incompréhensibles.
Donc on a retravaillé tout le design system avec des contraintes d’accessibilité fortes. Mais à la fin, c’était beau, c’était moderne, et c’était beaucoup plus utile.
Ce projet m’a aussi appris que l’accessibilité, c’est une démarche, pas un livrable. Ce n’est pas juste « faire une checklist et cocher des cases ». C’est une intention continue, qu’on nourrit dans le temps.
Comment réagit un client quand on lui propose ce type de démarche, très orientée test utilisateur·ice et co-construction ?
Franchement, ça dépend. Il y a des clients très ouverts, comme ici. Ils avaient déjà une conscience du sujet. Et puis il y en a d’autres qui voient ça comme un « nice to have ».
Ce que je fais dans ces cas-là, c’est que je montre. Je ne raconte pas que c’est important, je montre pourquoi ça change tout. Un test utilisateur, une démonstration d’un lecteur d’écran… Ça fait tomber les barrières très vite.
Et souvent, le déclic vient quand on leur fait vivre une situation d’exclusion. Là, tout à coup, ça devient concret.
Vers une culture du design plus inclusive
Tu dis souvent que l’accessibilité, c’est une question de culture. Qu’est-ce que tu entends par là ?
C’est exactement ça. L’accessibilité, ce n’est pas une compétence isolée, un truc qu’on apprend dans une formation et qu’on coche dans un projet.
C’est une culture à diffuser dans les équipes. Ça veut dire que tout le monde doit être sensibilisé : les designers, les devs, les chefs de projet, les product owners, les personnes qui rédigent les contenus…
Chacun·e a un rôle à jouer. C’est un effort collectif.
Ce que j’observe, c’est que quand on commence à parler d’accessibilité en interne, à l’expliquer simplement, à faire des mini ateliers ou des partages d’expérience, ça fait boule de neige. Les gens s’y intéressent, ils comprennent mieux, ils osent poser des questions.
Et au final, on voit émerger une nouvelle manière de faire du design : plus inclusive, plus humble, plus tournée vers l’utilisateur·rice.
Si tu avais un message à faire passer aux pros du marketing et de la communication sur l’accessibilité, ce serait quoi ?
Je dirais que l’accessibilité, c’est de l’attention. C’est faire attention à celles et ceux qu’on n’entend pas, qu’on ne voit pas, mais qui sont là.
C’est aussi un levier pour améliorer l’expérience de tout le monde. Ce n’est pas un frein à la créativité, au contraire, ça pousse à innover.
Et enfin, c’est un engagement. Pas besoin d’être parfait·e tout de suite. L’important, c’est de commencer. Par une action, une prise de conscience, un petit pas.
Parce que si tu attends que tout soit prêt pour faire un truc parfait, tu ne fais jamais rien. Mais si tu fais déjà un peu mieux aujourd’hui qu’hier, t’es déjà sur le bon chemin.
Quelle est ta plus grande leçon apprise depuis que tu travailles sur l’accessibilité, que tu voudrais partager avec notre audience ?
J'avoue que c'est gratifiant. Gratifiant aujourd'hui de se dire, j'ai fait un site 100 % accessible. Voilà, ça c'est le premier côté.
Par contre, au niveau de l’accessibilité, la grande leçon que j’ai prise, c’est que je peux mettre tout en place moi-même, mais en fait, je ne suis pas aveugle aujourd’hui. Je n’ai pas d’épreuves. Si je porte des lunettes, je sais très bien lire, il n’y a pas de souci. J’ai mes deux mains, j’ai mes deux bras, j’ai mes deux jambes. Une bonne compréhension du français qui est le site que je consulte. Voilà.
En fait, on ne se rend pas compte si on ne teste pas avec des personnes qui sont dans cette déficience. Par exemple, à la STIB, on a travaillé avec Wassim. Wassim est quelqu’un qui est aveugle de naissance. Wassim utilise un lecteur braille. Donc voilà, Wassim était là justement pour tester directement.
Et ça, c’est quelque chose qu’on ne prend pas en compte généralement quand on prend un projet. Oui, je suis formé sur la question. Oui, je sais comment ça fonctionne. Mais en fait, c’est comme en UX. Aujourd’hui, je peux être 100 % compliant. Mais en fait, les gens, ils utilisent aussi autrement. Ils trouvent toujours des chemins détournés. Ça, c’est l’utilisateur. Il trouve toujours des chemins détournés.
Avec Wassim, je peux directement tester. Et voir aussi. Et ça, c’est la plus grande leçon. C’est dire, OK, en fait, je ne suis pas dans cette catégorie-là aujourd’hui. Je ne suis pas dans cette déficience-là. Je dois faire tester avec quelqu’un.
Et puis, une autre leçon, c’est pas parce qu’ils sont handicapés que ce sont des personnes qui ne sont pas comme nous. Wassim, il a un humour extraordinaire. J’arrive, je dis bonjour à Wassim, « Oh Arnaud, je ne t’avais pas vu ».
Aujourd’hui, voilà, c’est ça aussi. Il ne faut pas avoir peur. Il ne faut pas avoir peur de ces personnes. Je sais qu’il y a un peu cette distance avec les personnes qui sont en situation de handicap. Voilà, il ne faut pas avoir peur d’aller aussi avec ces personnes-là, parce qu’ils sont comme nous, parce qu’ils ne voient pas ou qu’ils ne savent pas utiliser leurs mains, qu’ils ne sont pas drôles, qu’ils n’ont pas leurs envies, etc.
📚 Ressources pour se former à l’accessibilité numérique
Pour celles et ceux qui veulent approfondir leur compréhension de l’accessibilité, tu avais parlé un peu plus tôt dans notre discussion de l’importance de se former. Est-ce que tu as justement des ressources ou des formations à nous recommander ?
Au niveau bruxellois, déjà premièrement AnySurfer. AnySurfer est vraiment un pilier au niveau de l’accessibilité. Ils donnent des formations sur différents sujets : légaux, design, développement, ou même des parcours complets.
C’est une très, très bonne formation, que moi j’ai suivie avec Sophie Skirmans, qui est vraiment très à point sur le sujet.
En France, il y a aussi une grosse référence : Access42. Ils donnent aussi des certifications. J’en ai suivi quelques-unes chez eux, c’est très pointu, ça va très en profondeur.
Ce sont des formations coûteuses, parce que ce sont des sujets techniques. Mais si tu es vraiment intéressé·e, c’est un très bon point d’entrée.
Il y a aussi des ressources légales. J’ai parlé tout à l’heure du CIP luxembourgeois, sur lequel on retrouve tout ce qu’on va tester, comment on va le tester. C’est vulgarisé pour être accessible au grand public.
En France, il y a aussi le projet ARA, qui est devenu le cadre légal utilisé pour les audits.
Et enfin, au niveau international, il y a le A11Y Project. Pour les francophones, ça se lit "A-onze-Y", qui correspond à “accessibility” avec 11 lettres entre A et Y.
Donc tu recommandes vraiment le A11Y Project pour débuter ?
Oui, tout à fait. Le A11Y Project est un site où des gens partagent des ressources, des points de vue, et surtout, il y a une checklist très claire.
Quand tu construis un site, tu peux te poser la question : qu’est-ce que je dois vérifier ? Eh bien, cette checklist te guide. C’est super utile.
Et je sais que là, heureusement que c’est un podcast, que les développeurs front-end ne vont pas me voir, mais je vais parler de Bootstrap.
Bootstrap, c’est un framework développé par Twitter. Il est ancien, mais il fonctionne très bien. Et surtout, il intègre déjà toute une partie accessibilité.
Donc si tu veux faire un accordéon, un calendrier, ou n’importe quel composant, tu peux aller voir Bootstrap, et il y aura toujours une documentation sur l’accessibilité intégrée.
Arnaud, on arrive à la dernière question. Si je te dis Slow Marketing, tu penses à quoi ?
Moi je pense justement à éco-conception, à prendre le temps de faire grandir les choses naturellement.
Pour moi, c’est une très bonne approche, parce que l’accessibilité, c’est ça aussi. C’est prendre le temps de bien faire les choses, et de faire grandir un projet petit à petit, sans brûler les étapes.
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